Quand on accompagne des enfants ou des ados, surtout dans une problématique familiale, on se retrouve vite face à un écueil classique : chacun parle de l’autre, mais personne ne se sent vraiment compris.
L’enfant parle de ses parents. Les parents parlent de l’enfant.
Et vous, vous êtes là, au milieu, à tenter de comprendre qui pense quoi, et surtout… qui vit quoi.
Et c’est là que le questionnement circulaire devient un outil précieux.
Pas magique. Pas miraculeux.
Mais puissant.
Parce qu’il permet à chacun d’entendre autre chose.
De se décaler.
De regarder autrement.
Et ça, dans une relation triangulaire où les émotions sont souvent en vrac, ça fait une énorme différence.
Ce que c’est (et ce que ce n’est pas)
Le questionnement circulaire, ce n’est pas une méthode pour avoir « la vérité ».
Ce n’est pas non plus une manière de confronter.
Ni une façon de mettre les parents face à leurs responsabilités (même si certains le redoutent).
C’est une manière subtile et respectueuse d’inviter chacun à regarder la situation avec les yeux d’un autre dans un cadre de thérapie familiale.
Ça peut donner ça, très simplement :
— « À ton avis, qu’est-ce que ton père pense quand il te voit comme ça le matin ? » — « Et vous, que pensez-vous que votre fille ressent quand elle entend ce que vous venez de dire ? » — « Si ton frère voyait la scène, qu’est-ce qu’il en penserait ? » — « Qu’est-ce que tu crois que ta mère aimerait comprendre chez toi qu’elle n’a pas encore compris ? »
Des questions qui tissent des ponts.
Pas entre vous et la personne à qui vous parlez.
Mais entre cette personne… et l’autre.
Et souvent, ces ponts-là, ce sont les seuls que chacun est prêt à traverser.
Pourquoi ça fonctionne
Quand on interroge quelqu’un sur ce que pense ou ressent un autre membre de la famille, quelque chose change.
L’enfant ne parle plus de lui directement.
Le parent ne parle plus de ce qu’il « supporte » ou « ne supporte plus ».
Il y a une ouverture. Un déplacement.
Et surtout, ça permet d’aller chercher des réponses que les personnes ne se permettraient pas de formuler autrement.
Un ado qui se sent jugé va répondre de façon défensive s’il se sent visé :
— « Pourquoi tu ne veux plus aller à l’école ? »
— « Tu as conscience que ça te coupe de tes copains ? »
Mais si vous lui demandez :
— « Tu crois que ton père, il pense quoi, lui, quand il te voit ne pas y aller ? »
Alors là…
Il peut répondre.
Parce que ce n’est plus « je », c’est « lui ».
Et dans ce « lui », il va glisser des informations sur ce qu’il ressent. Ce qu’il pense. Ce qu’il vit.
Pareil pour les parents.
Beaucoup ont besoin de poser leur souffrance.
Mais ils se heurtent souvent à un mur, parce que l’ado ne veut plus les entendre.
Alors parfois, leur dire :
— « Qu’est-ce que vous croyez qu’il aimerait entendre de vous, qu’il n’entend pas aujourd’hui ? »
…ça les aide à se reconnecter.
À sortir de leur fatigue. De leur frustration. De leur peur.
Un exemple en séance
Je me souviens d’un ado* de 15 ans venu en traînant les pieds.
Refus scolaire, isolement, agressivité avec sa mère.
Sa mère, elle, était épuisée.
Elle disait :
— « Je ne sais plus quoi faire. Il ne m’écoute pas. Il me rejette tout le temps. »
Quand ils sont arrivés, il n’a pas dit un mot.
Bras croisés. Casquette sur les yeux. Regard fuyant.
Alors j’ai parlé à la mère.
Un peu. Pas trop. Juste pour qu’elle dépose un peu ce qu’elle avait à dire.
Puis j’ai dit à l’ado, sans le regarder :
— « Tu crois que ta mère, elle pense quoi quand elle te voit comme ça ? »
Pas de réponse. Silence. Je laisse. J’attends.
Et là, tout doucement :
— « Elle croit que je la déteste. »
Je me tourne vers lui.
— « Et c’est vrai ? »
Il secoue la tête.
— « Tu lui as déjà dit ? »
Il hausse les épaules.
Sa mère le regarde, sans rien dire. Les larmes aux yeux.
Ce jour-là, on n’a pas parlé d’école. Ni d’absences. Ni d’avenir.
Mais on a rétabli une ligne. Une corde. Un fil.
Et c’est souvent ça que la thérapie familiale invite à créer en premier : réparer les lignes de communication.
Avant même de parler de solutions.
Le questionnement circulaire avec les enfants
Avec les plus jeunes aussi, ça fonctionne très bien.
Ils adorent se projeter. Imaginer. Penser à la place des autres.
Et ça permet d’obtenir des informations précieuses sans jamais brusquer.
Avec un enfant de 9 ans, je lui ai demandé un jour :
— « Et si ton chien pouvait parler, tu crois qu’il dirait quoi sur ce qui se passe à la maison en ce moment ? »
Il a éclaté de rire. Puis il a dit :
— « Il dirait que je suis triste et que j’aimerais bien que papa rentre plus tôt. »
Sa mère a fondu en larmes.
Voilà. Pas besoin de plus.
Et surtout, pas besoin de le faire parler de lui de façon frontale.
Parce que certains enfants, certains ados, ne peuvent pas.
Ou ne veulent pas.
Mais ils peuvent parler de l’autre.
Et dans ce regard projeté, il y a souvent beaucoup plus de vérité que dans des mots imposés.
Comment l’utiliser concrètement
Le questionnement circulaire, vous pouvez l’intégrer à n’importe quel moment de vos séances, parce que c’est un outil puissant pour soutenir les relations familiales :
— Pendant l’anamnèse, pour ouvrir le regard des parents.
— En séance individuelle avec l’enfant ou l’ado.
— En fin de séance, pour relier les points de vue.
— Ou même en entretien familial, pour désamorcer des tensions.
Ce qui compte, c’est la posture.
Pas de jugement.
Pas de provocation.
Juste une curiosité tranquille, respectueuse.
Et une vraie envie de faire circuler.
Les idées.
Les émotions.
Les perceptions.
C’est un outil relationnel, pas une technique figée
Ce que j’aime avec le questionnement circulaire, c’est qu’il ne fige rien.
C’est un outil qui ouvre. Qui crée du mouvement.
Et qui vous aide, vous aussi, à ne pas rester bloqué dans un seul point de vue.
Parce qu’en séance, on est parfois tenté de « comprendre ».
De trier les bons et les mauvais comportements.
D’étiqueter ce qui est normal ou pas.
Mais dans une famille, tout est relation.
Et quand vous aidez chacun à voir l’autre autrement, à entendre ce qu’il n’entendait plus, alors vous enclenchez des changements qui durent.
Pas parce que vous avez dit quelque chose.
Mais parce que vous avez posé une question.
La bonne question.
Celle qui fait bouger.
Celle qui fait du lien.
Et vous, est-ce que vous l’utilisez déjà dans vos séances ?
Si non, testez.
Et regardez ce que ça change.
* Tous les exemples cités sont modifiés pour garantir l’anonymat
Cet article vous a plu ? Vous souhaitez découvrir d’autres techniques concrètes pour transformer vos séances avec les enfants ? Partagez en commentaire la plus grande difficulté que vous rencontrez avec les enfants dans vos accompagnements. Je vous donnerai des pistes personnalisées !

Bravo sincèrement, c’est un très bel article d’une grande sagesse et d’une belle sensibilité !
Merci infiniment de le partager comme tu le fais.
🙂🙏🫶
Avec plaisir Jehanne! Merci pour ce commentaire
Isabelle
Merci beaucoup pour cet article qui m’ouvre une porte de plus dans l’accompagnement des enfants et adolescents .
Merci beaucoup de partager ces expériences de séances.
Super si ça ouvre une porte de plus!
À bientôt Cathy,
Isabelle
Merci pour cet article tellement juste et éclairant 🙏
En tant que psycho-praticienne accompagnant enfants et adolescents, je me reconnais pleinement dans ces situations où chacun parle de l’autre sans vraiment se rencontrer.
Le questionnement circulaire, je l’ai parfois utilisé de manière intuitive, mais lire cette mise en mots claire et profonde me donne envie de l’intégrer plus consciemment à mes séances.
J’aime particulièrement cette idée de tisser des ponts… car c’est souvent ce fil de lien, fragile mais essentiel, qui permet de relancer la communication là où tout semble figé.
Merci pour ces partages concrets, sensibles et puissants. 🌱
Merci beaucoup Anne-Lise,
j’en suis ravie!
Isabelle
Merci Isabelle pour ce très bel article, très inspirant. En tant que coach, j’utilise effectivement le questionnement circulaire avec les ados et parfois avec les enfants.
Super idée, je prends !
Merci pour toutes ces ressources que tu nous partages