J’ existe, ne m’ oubliez pas
Nicolas* a 7 ans quand je le rencontre pour la première fois. Il vit dans ce foyer pour enfants depuis plusieurs mois déjà et je le remarque tout de suite lorsque j’arrive sur son groupe.
À ce moment-là, moi je suis stagiaire monitrice éducatrice, et c’est une de mes toutes premières expériences auprès de ce public d’enfants qu’on dit « placés ».
Nicolas est un de ces enfants qu’on remarque assez vite. De ces enfants qui prennent de la place, beaucoup de place mais dont on sent que toute cette agitation qu’ils créent autour d’eux est surtout là pour dire « eh oh! je suis là, j’existe, qui veut bien m’aimer?, ne m’oubliez pas« .
À l’époque, je découvre l’éducation spécialisée et j’oscille entre tendresse et agacement à son égard.
Il parle, fort;
Il bouge, sans arrêt;
Il répond, en dépassant souvent les limites.
Nicolas, est dans toutes les conversations. Celles des enfants auxquels il a cassé quelque chose ou piqué la place à table; celles des adultes qui ne savent plus comment lui faire respecter les limites du groupe et de l’institution. Celles de l’école, qui nous appelle régulièrement pour nous dire combien il est « ingérable », bien que tout le monde reconnaisse qu’au fond, c’est un gentil petit gars.
Je suis encore en formation à ce moment-là. Et moi aussi je me sens dépassée. Alors je me dis qu’un jour, j’aurai les outils pour mieux comprendre et accompagner quand j’aurai mon diplôme. Et en même temps, je vois bien que tous les professionnels autour de moi semblent sans solution concrète eux non plus. Et en effet… je confirme aujourd’hui que même après avoir été diplômée monitrice éducatrice, même après avoir ensuite fait la formation puis eu mon diplôme d’éduc spé, je n’ai pas vraiment eu d’outils concrets sur lesquels j’aurais pu m’appuyer pour soutenir cet enfant.
Alors oui, après avoir eu mes diplômes, je comprenais beaucoup plus de choses, je savais faire des liens avec la situation familiale de l’enfant, je savais mieux analyser, prendre du recul, construire un projet individualisé, travailler en équipe… Je savais proposer des stratégies pour « boucher les trous » en allant rencontrer tous les partenaires avec lesquels tous les « Nicolas » que je rencontrais étaient en lien… mais je ne savais pas comment « réparer la fuite d’eau » qui était toujours là et je me sentais bien démunie au quotidien.
Pourquoi l’Ancrage est-il Essentiel pour les Enfants ?
Alors aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de ces outils que je connaissais pas à l’époque et qui, soyons réalistes, ne sont pas des remèdes miracles mais qui auraient permis de lui donner des outils à LUI, pour lui apprendre à s’apaiser, à accueillir ce qui se passe en lui et à comprendre qu’il avait le pouvoir de vivre toutes ses émotions autrement. Et je sais que je ne suis pas la seule à avoir manqué de ces outils! Je pense notamment à une collègue, Magali, éduc spé de formation qui, lorsqu’elle a découvert l’hypnose, a réalisé toutes ces techniques qu’elle aurait pu utiliser en institution si elle les avait connues avant (elle explique tout ça dans cet épisode de podcast si ça vous intéresse)
Sauf que, comme on dit, on ne sait pas ce qu’on ne sait pas… donc je ne pouvais pas deviner que ça existait à l’époque…
Bref! L’ancrage, c’est donc ce qui permet de revenir à cette sensation de solidité intérieure, de calme et de connexion à soi.
C’est découvrir que sous le volcan en éruption, il y a quelque chose de plus stable qui existe et qui demeure présent, qu’on peut retrouver par soi-même.
Dans cet article, je vous propose d’explorer plusieurs techniques d’ancrage adaptées aux enfants, pour les aider à développer des ressources intérieures qu’ils pourront utiliser toute leur vie.
1. La Métaphore de l’Arbre : Visualiser des Racines qui Ancrent et Stabilisent
La première technique d’ancrage est de proposer à l’enfant d’imaginer qu’il est comme un arbre solide.
Je précise qu’il est important de proposer ça dans un moment où l’enfant n’est pas dans cette agitation envahissante. On peut faire ça le soir, pour aider à s’endormir.
On peut d’ailleurs tout à fait proposer cet outil aux parents et leur expliquer comment le faire avec leur enfant. N’hésitez pas à à leur faire vivre à eux en premier si vous les accompagnez en libéral par exemple.
L’imagination est très puissante. Et si on s’est assuré que l’enfant était en confiance dans la relation et disposé à nous suivre, les sensations peuvent arriver très rapidement.
L’ image de l’arbre crée une sensation de stabilité.
Tout comme les racines l’aident à rester enraciné malgré le vent, on va accompagner l’enfants à visualiser ces racines qui se déploient dans le sol sous ses pieds pour se sentir fort et sécurisé.
Concrètement
- Se mettre dans une position qui va favoriser l’ancrage : Demandez à l’enfant de se tenir debout, pieds bien ancrés au sol.
- Visualiser les racines : Invitez-le à fermer les yeux et à imaginer des racines qui partent de ses pieds, s’enfonçant profondément dans le sol. Posez des questions régulièrement pour ne pas dérouler votre accompagnement « dans le vide » s’il n’y arrive pas.
- Respirer pour renforcer les racines : Proposez-lui de respirer lentement, en sentant que chaque inspiration aide ses racines à devenir plus fortes et chaque expiration fait partir les feuilles mortes par exemple.
- Ressentir la solidité : Pendant quelques minutes, laissez l’enfant se concentrer sur cette sensation de stabilité intérieure, en lui expliquant que, comme l’arbre, il peut rester fort même quand son environnement est agité.
- Ajouter un phénomène hypnotique : suggérez que plus les racines de l’arbre sont fortes et solides, plus les branches peuvent se déployer et bouger au rythme de la force du vent. Et pour vérifier ça, dites lui qu’au fur et à mesure que les racines deviennent fortes, les bras vont être de plus en plus légers et même commencer à se soulever. Ratifiez =mettez des mots sur ce que vous observez pour renforcer l’effet des suggestions (mais ne soyez pas impatients ;) ) et continuez à amplifier ce qui vient.
Cette technique est toute simple et s’appuie sur une visualisation. Si elle est pratiquée régulièrement, elle offrira un ancrage puissant auquel il pourra revenir quand il en aura besoin.
Encore une fois, pas au moment où il est le plus agité mais petit à petit, tout son corps va découvrir des sensations nouvelles de calme.
Sans compter que la suggestion très forte derrière ça (et qui n’a donc pas besoin d’être exprimée avec mots), est que quelle que soit la météo extérieure, même si ce qui se voit est très agité et secoué (les branches), il y a quelque chose qu’on ne voit pas qui est capable de tenir le tout (les racines).
2. Le Pouvoir du Souffle Calme : La Respiration comme Ancrage
La respiration est aussi un outil naturel d’ancrage auquel on ne pense pas assez mais qui aide pourtant à calmer le système nerveux. Apprendre à un enfant à prendre conscience de son souffle, c’est lui donner une clé pour se recentrer facilement pour retrouver plus rapidement son calme.
Concrètement:
- Poser les mains sur le ventre : Invitez l’enfant à placer ses mains sur son ventre pour sentir les mouvements de sa respiration.
- Respirer profondément : Dites-lui de prendre une grande inspiration, en gonflant son ventre comme un ballon, pour sentir ses mains qui sont poussées par le ventre puis de souffler (pour dégonfler le ballon) lentement.
- Choisir un mot-clé : Proposez-lui de murmurer/penser à un mot-clé comme «calme» ou «sécurité» (ou n’importe quel mot qui lui parle) à chaque expiration.
- Rythmer la respiration : Vous pouvez également lui suggérer de compter jusqu’à 4 lors de l’inspiration et jusqu’à 4 lors de l’expiration pour instaurer un rythme et lui donner un truc concret à faire qui va focaliser son attention et ses pensées sur sa respiration (et non plus sur la raison de son agitation).
Ce petit exercice est vraiment sympa car facile à reproduire quand l’enfant en aura besoin à nouveau.
3. Créer un « Lieu de Paix » Intérieur : Un Refuge Imaginaire
Imaginer ce qu’on appelle une « safe place », c’est créer un lieu à soi de calme et de sécurité pour se réfugier mentalement dans un espace rassurant. Cette technique est très sympa à proposer lors d’un accompagnement car on va guider l’enfant à créer ce lieu en prenant soin de préciser qu’il sera le seul à pouvoir (et à savoir comment) y aller et que personne ne pourra s’y inviter sans son accord par exemple.
Concrètement:
- Fermer les yeux et visualiser : Demandez à l’enfant de fermer les yeux (ou pas, ce n’est absolument pas obligatoire, et garder les yeux ouverts n’empêche pas de rentrer dans l’expérience) et de penser à un endroit réel ou imaginaire où il se sent bien et en sécurité. Vous pouvez aussi lui faire choisir un moyen de transport imaginaire pour s’y rendre et coupler un état hypnotique à ce trajet qui pourra devenir une induction hypnotique pour renforcer l’expérience si vous êtes formé à l’hypnose (vous pouvez aussi aller lire cet article qui vous donnera pas mal d’infos sur comment faire justement).
- Décrire ce lieu : Encouragez-le à ajouter des détails sur cet endroit, comme les couleurs, les sons, et les odeurs. Demandez lui comment il se sent, ce qui se passe dans son corps quand il est dans ce lieu (vérifiez que c’est bien ok pour lui et que ce lieu procure réellement un ressenti positif et agréable)
- S’y rendre régulièrement : Il a désormais les clés et l’itinéraire pour revenir dans ce lieu chaque fois qu’il aura besoin de se sentir mieux, en sachant que plus il recommencera, mieux il y parviendra.
4. L’Enracinement par les Sens : Rester Présent grâce aux Cinq Sens
Se concentrer sur les cinq sens est aussi un chouette moyen pour lui apprendre à ramener son attention au moment présent, et ne pas être toujours dans une projection anxieuse de l’avenir.
Concrètement:
- Voir, toucher, entendre, sentir, goûter : Demandez-lui de nommer cinq choses qu’il peut voir autour de lui, quatre qu’il peut toucher, trois qu’il peut entendre, deux qu’il peut sentir, et une qu’il peut goûter (s’il y a quelque chose à manger autour de lui).
Vous pouvez même ajouter une spirale sensorielle hypnotique pour décupler l’expérience mais le but ici est surtout de lui montrer que peu importe où il est, il peut juste s’appuyer sur son environnement pour aider son mental à ne pas partir dans tous les sens. - Observer les sensations : Cette technique toute simple du quotidien engage les sens et ramène l’enfant à un état de présence immédiate. Faites lui décrire en quoi il se sent différent après avoir fait cet exercice (pensez à le lui demander avant pour qu’il ait un point de repères, en utilisant une échelle de 0 à 9 quant à son niveau de bien-être/inquiétude/agitation… à adapter selon les situations).
Très utile dans plein de situations de la vie quotidienne (on peut même imaginer le proposer à un groupe classe agité par exemple en demandant à chacun de faire l’exercice dans sa tête en silence le plus vite possible (histoire de créer un peu plus d’engagement avec un petit défi à la clé)).
En faisant appel à leurs sens de cette manière, on apprend aussi aux enfants à se connecter à ce qu’ils ressentent (le corps, le coeur) et à ne pas être connectés uniquement à ce qui se passe dans leur tête :)
L’Ancrage comme Ressource Quotidienne
Les techniques d’ancrage sont des outils puissants pour aider les enfants (et les adultes bien sûr!) à se connecter à leurs émotions et à traverser autrement les défis et difficultés du quotidien.
En leur proposant ces exercices, quel que soit votre lieu d’intervention au final (institutions sociales et médico-sociales ou sanitaires, libéral, école, maison) vous leur donnerez des clés pour développer une forme de sécurité intérieure. Ces pratiques d’ancrage renforcent non seulement leur autonomie émotionnelle mais leur permettent aussi de s’adapter aux situations stressantes avec plus de confiance et de calme.
Et si j’avais connu ça avant, nul doute que j’aurais pu transmettre ces techniques à Nicolas pour lui montrer qu’il avait cet énorme pouvoir magique à l’intérieur de lui qu’il aurait même pu faire grandir de plus en plus au fil du temps!
Alors si vous accompagnez un Nicolas en ce moment, ou si vous en connaissez un, et bien vous, vous savez :)
Et si vous avez envie d’aller encore plus loin, d’avoir des prises de conscience marquantes (voire déstabilisantes) sur votre propre posture et donner une autre tournure à votre pratique (quel que soit votre secteur d’intervention, du moment que vous travaillez avec les enfants), allez donc faire un tour par là.
*Le prénom est bien évidemment modifié.