Quand on accompagne les enfants, il y a d’emblée un enjeu qui différencie de manière importante l’accompagnement des adultes: c’est que nous devons aussi prendre en compte les parents qui ont parfois des demandes différentes de celles de leur enfant.
Et cet espace est souvent plutôt délicat car il demande de jongler entre les attentes des parents et celles de leur enfant. Chacun est là, avec son besoin d’être entendu dans ce qui est possible pour lui.
Les parents, la plupart du temps, arrivent fatigués, inquiets, en colère… en tout cas avec pas mal d’émotions en lien avec ce qui se vit au sein de la famille et un double désir: trouver quelqu’un qui va les aider à dépasser ce qu’ils traversent et retrouver une forme de paix et d’harmonie au quotidien; mais aussi, sans l’exprimer comme LE problème pour lequel ils viennent, le besoin d’être accueillis dans leur souffrance, sécurisés, entendus.
Et puis les enfants, eux, peuvent arriver avec l’envie de faire changer quelque chose également (un problème lourd pour eux, qui les embête au quotidien, qui les les prive de quelque chose… en tout cas, une demande de leur part d’être aidé), mais ils peuvent aussi être là parce que le parent ne voit pas d’autre issue et donc, l’engagement de leur part n’est clairement pas sur le devant de la scène. Et puis bien évidemment, eux aussi ont besoin d’être accueillis, entendus et écoutés (même dans leur refus d’être là).
Alors comment trouver cet équilibre délicat entre offrir un soutien suffisant pour chacun sans obliger pour autant l’enfant à s’engager dans un accompagnement pour lequel il ne voit pas d’intérêt?
Une question de perspective et de compréhension
Il est primordial de commencer par reconnaître que chacun (parent et enfant) vient avec ses propres préoccupations et son propre point de vue.
Les parents veulent protéger, guider et parfois même modifier un comportement chez leur enfant.
Et s’ils sont là, il est important de garder en tête qu’au fond, ils ont fait cette démarche car ils ont besoin d’aide. Solliciter une aide extérieure n’est pas simple et il est essentiel de reconnaître cela chez le parent qui vient nous voir.
De leur côté, les enfants, et encore plus les adolescents, cherchent à construire leur identité, à affirmer leur indépendance, et peuvent ressentir cette demande de rendez-vous comme une intrusion dans un quotidien qui, pour eux, n’est pas toujours vécu comme un problème.
Créer un espace sécurisant
D’emblée, on imagine combien le fait de poser un cadre clair et solide pourra être sécurisant pour chacun.
Par exemple, recevoir systématiquement les parents seuls en premier pour faire le point sur leurs attentes, sur la situation, et expliquer comment vous fonctionnez ensuite.
Ou alors, recevoir d’emblée parents et enfants sans autres informations pour saisir tous les éléments qu’une première séance de ce type pourra vous donner pour savoir comment poursuivre l’accompagnement (parents seuls? enfants seuls? accompagnement en famille? alternance?…)
Il n’y a pas de « bonne » manière de faire ». Cela va dépendre de qui vous êtes, de votre formation initiale, de vos formations complémentaires, de votre expérience… et rien n’a besoin d’être figé pour toujours! Votre cadre évolue avec qui vous êtes au fil de votre pratique mais doit être pensé en amont pour que vous sachiez par quelles étapes vous allez faire passer la famille. Au moins dans les grandes lignes.
Avoir pensé votre cadre d’accompagnement en amont sera bien plus sécurisant pour vous mais également pour les parents et l’enfant qui sentiront que vous savez ce que vous faites (et pourquoi vous le faites), que vous êtes solide, que vous pouvez réajuster au fil de l’accompagnement en fonction de ce qui vient.
La clé pour accompagner des attentes différentes va résider notamment dans une grande place laissée à la communication. Avant d’imposer une solution ou de prendre une décision, il est essentiel de créer un espace où chacun se sentira entendu et respecté. Invitez les parents à partager comment ils vivent la situation au sujet de leur enfant, tout en laissant la place à l’enfant d’exprimer ce qu’il ressent de son côté, est un premier pas pour que chacun puisse entendre ce qui se passe pour l’autre.
L’espace d’accompagnement que vous proposez aura cette fonction d’espace tiers et votre présence va permettre à chacun de ne pas s’aborder en frontal, car la place à laquelle vous êtes est justement celle qui permet de pouvoir parler de ce qui se passe pour eux, en faisant un pas de côté.
1. Accueillir ce que chacun vit
Il est crucial de reconnaître et de laisser la place aux vécus de chacun.
Dire à un parent : «Je comprends que vous soyez inquiet pour l’avenir de votre enfant» ou à un ado : «C’est normal que tu veuilles plus de liberté et que tu te sentes frustré par cette situation» va contribuer à créer un climat de confiance et d’écoute mutuelles, sans pour autant remettre en cause le vécu des uns et des autres. Chacun doit pouvoir sentir que ce qu’il vit est recevable, même si les positions sont différentes.
2. Vérifier l’engagement et être à l’écoute (mais vraiment!)
Lorsque ce sont les parents qui ont pris rdv, l’enfant n’est pas toujours partie prenante pour s’engager dans un accompagnement. Il va donc être important de vérifier cela avec lui.
Mais pour ça, il va va falloir être en capacité de l’accueillir véritablement, être à l’écoute +++ Oui ça parait logique tout ça… mais si on demandait à tous les parents qui cherchent un professionnel compétent pour accompagner leur ado s’ils l’ont trouvé facilement (voire même s’ils en ont seulement trouvé un un jour), je pense qu’on pourrait se marrer un moment (à défaut d’en pleurer en fait parce que la réalité elle, elle est à pleurer).
Et rien à voir avec le titre ou le diplôme là hein! Là on parle de l’humain que nous sommes. Le titre et le diplôme n’ont rien à voir là-dedans!
Savoir être à l’écoute, ce n’est pas juste savoir poser des questions, avoir appris reformuler avec les bons mots qu’on a appris en formation, se targuer d’avoir x années d’expérience ou connaître telle ou telle théorie parfaitement. RIEN à voir.
Savoir être à l’écoute, c’est d’abord (et entre autres) savoir mettre son petit ego de côté quand l’ado nous dira que la question qu’on vient de lui poser est débile. Parce que s’il s’autorise à nous dire ça, prenons le comme un cadeau. Vraiment.
S’il s’autorise à nous dire un truc comme ça, sachons qu’il est juste en train de vérifier qu’on est cohérent entre ce qu’on annonce (du style « je peux touuuut entendre ») et ce qu’on incarne, ce qu’on dégage inconsciemment. Est-ce qu’on est fiable? est-ce qu’on est assez solide pour ne pas nous sentir attaqué sur un plan personnel par cette remarque? parce que si notre ego se crispe déjà ici, aucune chance qu’on semble digne de l’accompagner sur ses problématiques plus dark… en tout cas, c’est ce qu’il risque de ressentir, et là, on aura beau déployer tous nos outils, diplômes et connaissances, c’est mort, on l’aura déjà perdu ici (ou alors il faudra sortir les rames un moment).
Mais je m’égare, ça mériterait un autre article complet cette question!
Revenons à nos moutons et donc, assurez-vous de l’engagement de l’enfant ou de l’ado dans son propre accompagnement si vous proposez des séances en individuel.
Demandes différentes : Accompagner de manière constructive
Il est inévitable que des différences dans les attentes et demandes de chacun apparaissent au fur et à mesure que les enfants grandissent.
Apprendre à gérer ces conflits de manière saine est une compétence essentielle, tant pour les parents que pour les enfants.
1. Enseigner la négociation et le compromis
Montrez aux parents et aux enfants comment négocier et trouver des compromis.
Par exemple, un adolescent qui voudrait plus de liberté pour sortir avec ses potes, tandis que ses parents sont complètement stressés par le côté sécurité: expliquez par exemple que la négociation entre eux est comme la construction d’un pont.
Un peu comme si chacun était sur sa propre rive, donc avec un point de vue nécessairement différent puisqu’ils ne sont pas au même endroit : les parents avec leurs préoccupations (sécurité, responsabilité), et l’enfant avec ses envies (autonomie, liberté).
Le but n’est pas de tirer l’autre vers soi, mais de construire ensemble un pont qui permettra de se rejoindre à un moment donné.
Et pour construire ce pont, le matériel à utiliser va être composé de communication, de respect et d’écoute. Chaque fois que l’un des deux est vraiment entendu par l’autre, alors le pont se construit un peu plus. Chaque fois que l’autre n’est pas entendu (ce qui ne veut pas dire être être d’accord et tout accepter!), alors le pont se fragilise à nouveau.
Par exemple, quand l’ado demande plus de liberté, il lance une corde vers l’autre rive mais pour que celle-ci ne tombe pas dans le ravin comme si’l n’y avait personne en face, il faut que les parents l’attrapent en offrant par exemple cette liberté sous certaines conditions de sécurité. Au fur et à mesure que chacun pose ses attentes et écoute celles de l’autre, le pont deviendra plus solide, et les deux parties pourront se rapprocher petit à petit avec confiance.
Trouver des compromis n’est pas s’opposer et se battre l’un contre l’autre. C’est une construction commune où chacun apporte quelque chose pour renforcer la relation.
Et ça peut prendre du temps.
2. Apprendre à faire preuve de flexibilité
Et puis parfois, on l’impression qu’il n’est pas possible de se rencontrer.
Que les parents semblent ok par exemple pour lancer la première corde ou poser la première planche, mais que l’enfant, lui, veut rester sur sa rive et n’a pas du tout envie de rejoindre ses parents sur ce pont, ni même de faire le moindre effort pour construire un pont, et bien c’est à entendre.
Et dans ce cas, on peut expliquer aux parents les principes d’une approche systémique du changement, qui peut commencer par eux. Un peu comme un rouage mécanique: quel que soit le maillon qu’on bouge, l’ensemble finira par bouger même s’il peut y avoir une certaine inertie entre le premier qui commence à bouger et le dernier.
Donc même si l’enfant reste figé sur sa rive, l’accompagnement et l’évolution des parents fera bouger l’équilibre familial à un moment ou à un autre. L’enfant, lui sans se sentir contraint, va déjà découvrir que sa « non envie » de changer est respectée et rien que ça, ça peut participer à faire bouger les choses.
En parallèle, au fil du travail que feront ses parents, le système familial tout entier va bouger jusqu’à devenir plus stable, un peu comme s’ils construisaient le pont tout seuls pour aller sur l’autre rive.
Au fil de la construction l’enfant/ado va voir/ressentir ce pont qui avance vers lui. Et quand l’écart entre soi et l’autre se réduit, il est plus facile de se rejoindre.
Conclusion : Un chemin à parcourir ensemble… ou pas
Accompagner les attentes des parents et des enfants est un processus dynamique qui nécessite patience, écoute, et ajustement constant.
Et parfois, la meilleure option est de proposer d’abord un accompagnement des parents plutôt que de vouloir absolument accompagner l’enfant parce que c’est la demande initiale.
Bien sûr, chaque situation est différente et cela demande au praticien de savoir s’ajuster, écouter et poser des limites claires qui sécuriseront tout le monde. Et si vous avez peur de ne pas être à la hauteur, prenez 2 minutes pour aller lire ça.
Et vous? Dites moi en commentaire quel est votre cadre de travail, quelles sont les limites que vous ne franchissez pas, comment vous avez défini les contours et les grandes lignes de vos accompagnements qui vous aident justement à savoir où aller tout en gardant de la souplesse dans ce que vous proposez.
Et si vous vous aller plus loin dans la réflexion du cadre d’accompagnement, vous pouvez aller faire un tour par ici pour apprendre à le définir et à vous poser les bonnes questions.